Les platanes de Gien…un combat exemplaire loin d’être terminé
Depuis que je suis tout petit, j’ai horreur de voir abattre un arbre. Comment l’expliquer, je ne suis pas psychanalyste mais à minima, je dirais que l’arbre était là longtemps avant moi, il porte une histoire, une mémoire, il devrait être vivant longtemps après moi et intègre le vécu, la vie de mon époque.
Gien, cette ville qui fut magnifique sur le bord du dernier fleuve sauvage d’Europe bénéficiait depuis 1832 d’un extraordinaire alignement de platanes bordant ses quais.
Ils ont connu les meurtrissures de l’histoire, les crues tragiques de la Loire aux XIXème et XXième siècles, le conflit de 1870 et la terrible bataille de Gien des 15-16-17 juin 1940. Ils en portent encore et les marques des éclats de bombes incendiaires et les stigmates dans leurs troncs semi-brulés.
Ils ont vécu les mauvaises tailles, l’enfouissement de leurs troncs dans des bitumages ne leur laissant aucune respiration et pourtant, majestueusement à chaque printemps, il renaissent avec le même éclat, à chaque automne ils offrent les coloris somptueux de leurs feuilles, toute l’année, ils abritent les colonies d’oiseaux et de petits rongeurs et combien ils portent les souvenirs des enfants de toutes les générations, nos parties de cache-cache dans leurs ouvertures de troncs, les feuilles d’automne que nos instits nous faisaient ramasser pour en faire des œuvres, piètres œuvres pour ce qui me concerne mais quels souvenirs d’une enfance merveilleuse dans cette école du Centre, quelle fierté que celle de nos programmes du théâtre de l’Abeille illustrés avec nos « œuvres ».
En avril 2016, par l’intermédiaire de l’hebdomadaire local, incontournable vecteur de l’actualité giennoise, nous apprenons la sortie d’un projet annoncé « Gien cœur de ville », projet séduisant à bien des égards, pour cette ville qui se meurt comme beaucoup de villes moyennes mais aussi à cause d’une politique commerciale à base d’une ceinture d’hyper marchés qui ont tué le commerce local et d’une non volonté de politique culturelle digne de ce type de cité.
Mais le journal fait un encadré sur une partie du projet qui m’émeut profondément « Les platanes des quais devront être abattus ». Comme je le fais souvent quand je suis meurtri par une décision qui m’offusque, je communique immédiatement mon sentiment au journal qui a la grande gentillesse de le publier.
J’espérais, je pensais sincèrement que ce cri d’angoisse était partagé par de nombreux Giennois qui ne manqueraient pas de s’organiser pour empêcher un tel massacre. Je vivais d’illusions, à part un vieux Giennois amoureux comme de sa ville, ce fut l'indifférence et un silence coupable de l'association qui se devait de défendre le patrimoine…
Bien sûr, et nous verrons dans notre action que c’est pareil partout, le motif indiqué était la production d’un rapport phytosanitaire déclarant les platanes tous malades, ce qui ne sera pas prouvé du tout, remplacés par une essence insensible au capricorne alors que nous savons que cette sale bestiole ne s’attaque aucune à cette espèce de platane…bref si on veut noyer son chien…
Les choses restent donc en l’état, le combat semblait cesser avant d’être commencé faute de combattants et je vivais une fois de plus, le sentiment que je connais beaucoup trop d’incompréhension sur des combats que j’estime justes au point de m’y investir sans compter.
Heureusement, il y eut rebondissement et ce dernier se présenta en septembre 2017 lors de la fête des associations. Un militant sensibilisé à ce massacre fait l’entrée du forum avec une banderole « sauvons les platanes ». Victime d’une grosse opération, je suis de près cette action depuis mon lit d’hôpital et communique aussitôt mon plaisir de voir le combat repris.
Enfin, des Giennois de tous bords rejoignaient l’action pour sauver notre alignement et il y eut dès ce mois de septembre 2017, des manifestations relativement importantes place Leclerc, place Charles de Gaulle, une belle cérémonie de merci aux platanes… Bref, un peu marri certes de cette année perdue par indifférence des Giennois à mon appel, je suis très heureux de voir l’évolution de la situation à laquelle, hélas, ma santé ne me permet pas de participer plus.
C’est le 12 octobre que se produit la première salve d’un coup de force sans aucune concertation, sans que nous ayons pu expliquer notre position constructive c’est-à-dire que le projet, tout le projet était absolument réalisable autour et non pas contre les platanes, fut donnée.
A l’heure du laitier, maire et élus accompagnés des forces de l’ordre, ont escorté les engins nécessaires jusqu’au quai Lenoir, lieu de ce premier
abattage. La journée fut pour de nombreux Giennois, une triste journée d’écœurement, à coup de pelleteuses, les branches tombaient, les troncs se déchiquetaient. Sur les souches apparentes, chacun put constater à 6 exceptions près, l’absence de trace de pourrissement et la bonne santé de l’arbre victime.
Nous aurions pu subir les effets du désastre, nous dire que tout était fichu, écouter les bien-pensants du coin qui nous disaient que « la vue depuis le quartier du Berry était bien plus belle » et autres arguments du même acabit. Nous aurions pu nous réfugier derrière le fait que le bel alignement était définitivement rompu et que ça ne valait plus le coup de se battre.
C’était sans doute l’objectif du coup de force, en finir avec ça, et bien c’est raté. Nous continuions le combat sur le quai Joffre, objectif prochain d’abattage où 31 arbres restent à sauver.
Sur ce secteur, existe un autre combat qui n’est pas le mien mais qui est respectable comme tout combat, celui des riverains de la rue Louis Blanc qui proposent immédiatement leur aide tant les deux aspects d’abattage et de sens des rues sont complémentaires. Ma santé le permettant désormais, je suis très heureux de les retrouver dans le collectif « sauvons les platanes »
Enrichis par l’expérience du quai Lenoir, le groupe décide de structurer l’action en lui apportant diverses richesses. Ce fut tout d‘abord la recherche de parrainages de Giennois et de gens instruits du combat pour les arbres liée à une opération de rencontres avec les Giennois « Gien sous nos platanes » tous les dimanches à 15 heures.
Cette opération fut riche d’enseignements et de bonnes surprises. D’abord nous sommes surpris par le nombre (immédiatement plusieurs dizaines) de Giennois répondant à la recherche de parrains, ensuite par la qualité et la quantité des personnes émérites se présentant comme parrains, Alain Bougrain-Dubourg, Hubert Reeves, Matthieu Richard, Nicolas Vanier, de notabilités de la politique, des arts, et tant d'autres qui m'excuseront de ne pas les citer tous et toutes… Le grand spécialiste Alain Baraton nous réserve une chronique sur France Bleu.
Le combat pour les platanes de Gien prend une dimension nationale et m’apportera pour ce qui me concerne, mais je ne suis sans doute pas le seul, des éléments que je ne mesurais pas tant leur étendue est colossale.
De partout nous parviennent des présentations de situations semblables à la nôtre, ici abattage pour la construction d’un hypermarché, là abattage pour une voie de contournement, ailleurs abattage pour une situation semblable à la nôtre à savoir un projet d’aménagement.
Nous en sommes donc pas seuls et nous, que l’on veut faire passer pour des rétrogrades, des nostalgiques d’un passé révolu, des doux rêveurs qui pensent aux arbres aux petits oiseaux et oublient les réalités économiques, et bien partout en France, nous avons nos alter égo, ces militants de la cause de la nature qui refusent el tout béton et les projets pharaoniques.
Mais revenons au combat de Gien, le groupe entame aussi l’action juridique et, inquiet de l’avancée des travaux sur le quai Lenoir et de la proximité d’un nouveau coup de force sur l’abattage du quai Joffre décide de déposer avec l’aide de nos amis de la rue Louis Blanc un recours en référé au tribunal administratif.
Le recours abouti à la suspension de l’abattage, première victoire ou plutôt demi-victoire puisqu’il nous faut attendre l’examen sur le fond qui seul peut décider de l’interdiction d’abattre mais ne boudons pas notre plaisir d’avoir gagné ce premier round.
Il n’en reste pas moins vrai que dans ce programme de travaux, il existe une plaie, une meurtrissure incommensurable, celle d’un quai Lenoir raté, d’arbres en bâtons de sucette appelés Féviers d’Amérique et de lieu de promenade rendu plus difficile en raison d’un stationnement autorisé et de terrasses non harmonisées, qui ne permettra pas aux Giennois et touriste la promenade ombragée que leur permettaient les platanes.
En conclusion, que dire de tout cela sinon qu’avec un peu de complément d’étude en concertation ce massacre du quai Lenoir et cette épée de Damoclès sur le quai Joffre auraient pu se négocier autrement et qu’il était possible d’amender le projet autour des arbres et non contre eux et surtout que le combat n’est pas terminé, nous gardons l’espoir et surtout la détermination à sauver les 31 platanes du quai Joffre et nous les sauverons, en tous cas je serai de ce combat tant qu'il me restera la force et un souffle de vie.
Pour ma part, quoi qu’il arrive, avec mon expérience des luttes et de la vie, je garderai de combat le sentiment d’exemplarité que ceux qui l’ont mené méritent, j’enregistrerai pour le temps qui me reste, la leçons qu’il m’a confirmée, quelle que soit l'ampleur des ripostes, la mauvaise foi ou la fausseté des arguments employés, les pressions exercées ici ou là, celle de ne jamais désespérer d’une cause toujours reliée à une situation plus grande que celle de nos pauvres vies.