50 ans de fidélité militante au 13 mai de l’espérance
Il faisait beau en ce lundi du 13 mai 1968, le ciel était bleu, nos rêves couleur d’espérance nous portaient en des lieux prometteurs.
Avec Jean-Pierre Reculé, nous portant une amitié très profonde qui ne s‘est jamais estompée même après la tragédie de son absence depuis 1976, nous nous intéressions de très près depuis la fin de 1967 aux luttes de nos camarades travailleurs mais aussi aux mouvements étudiants. Ensemble nous vivions l’espoir que les choses bougent, ensemble nous vivions les indignations portées par les étudiants, le pouvoir absolu des « mandarins » comme le mépris d’un article de l’huma parlant « d’anarchistes et trotskystes à la solde d’un juif-allemand » qui ressemblaient si fort au caporalisme, à la situation des jeunes que nous connaissions sur notre lieu de travail. Nous avions en effet cette chance, car c’en est une, d’être à la fois jeunes et travailleurs donc de faire la synthèse de ces deux problématiques, celle de jeune proche des camarades étudiants et celle de travailleurs confrontés aux réalités tant salariales que relationnelles de ce milieu.
Militant depuis fin 1964 à la toute jeune CFDT, j’étais responsable du groupe d’ adhérents que nous avions fait se syndiquer dans notre centre de tri postal et très sensibilisé à la dimension interprofessionnelle de l’action, j’avais été élu en avril 68 au bureau de l’Union départementale du Loiret.
La nuit du 10 au 11 mai, la fameuse nuit des barricades, nous étions sur notre poste de travail. A cette époque, bien sûr pas de portables, pas de transistors autorisés, nous rentrons dormir après notre vacation à 6 heures du matin et ne nous réveillons comme d’habitude que pour le repas de midi. Nous retrouvons donc les copains pour déjeuner comme chaque jour au restaurant des PTT qui existait rue des Ponts de Cé et là, Michel, un autre ami, me dit « ça a pété à Paris, Europe 1 appelle tous les responsables syndicaux à rejoindre leur UD, tu devrais te dépêcher » Bon je déjeune vite fait et je me dirige vers l’UD effectivement en grande ébullition.
Après m’être sévèrement fait tancer pour mon retard bien involontaire, je m’informe des réalités. La grève générale est décrétée pour lundi 13 mai, Eugène Descamps alors secrétaire général de la CFDT a appelé à la « nécessaire jonction des ouvriers et des étudiants » et après m’avoir à nouveau rappelé que j’avais retardé la réunion, nous nous mettons au travail….
Il fallait écrire et prononcer le discours du 13 mai sur la place De Gaulle à Orléans. Vexé un peu par les reproches, tout compte faits logiques qui m’étaient faits, dans toute l’inconscience de ma jeunesse et parlant en public pour la première fois, je m’entends prononcer cette phrase : « je veux bien participer à la rédaction et prononcer le discours ». Ce choix fut très vite entériné, mes camarades m’encourageant, me disant entre autres « t’inquiète pas, Orléans est une ville bourgeoise et s’il y a plus de 1000 à 1500 manifestants, c’est que la révolution est en route en France ».
Nous nous attelons donc à la tâche, rédaction de tracts, rencontres intersyndicales et pour nous un petit groupe qui se met à la rédaction du discours. Nous voulions être dans la ligne confédérale, celle de l’appel d ‘Eugène et placer la lutte sous le signe du rapprochement des ouvriers et des étudiants, sous l’exigence du changement sociétal nécessaire. Notre texte s’intitulera « Ce n’est pas la fin d’une lutte, c’est le début d’une libération » et s’articulera sur l’exigence du pouvoir dans l’entreprise, lancera comme partout le concept d’autogestion, posera les problèmes de la jeunesse etc…
Bien sûr notre fin de semaine fut intense, rencontres intersyndicales, distribution de tracts, assemblées générales et discussions, ne nous ont pas laissé un temps de sommeil bien fourni mais nous avions 21 ans…..
Arrive donc ce lundi 13 mai, porteur de mon discours, sans trop d’inquiétudes, je me dirige vers la place De Gaulle et déjà, la place est pleine, dépassant largement les 1000/1500 manifestants habituels. De l’endroit où avec les responsables des UD syndicales et de l’UNEF nous sommes postés, nous voyons les cortèges arriver par la rue des Carmes, par la rue Jeanne d’Arc encore décorée de ses fanions des fêtes Johanniques, par la rue de…… Finalement nous avons évalué cette manifestation à 10 000, les observateurs à 7000, peu importe, je mesure l’ampleur du phénomène.
Le responsable régional, Paul Raffin, s’approche de moi, s’enquiert de mon état d’esprit, me demande si je suis prêt … "ben oui, c’est comme à la piscine, si on sait nager, 2 mètres ou 40 mètres ne changent rien à l’affaire » lui réponds-je avec toute l’impétuosité de ma jeunesse, surtout pour un mec qui à l’époque ne savait pas nager…
Et finalement tout se passe très bien, cette position de la CFDT largement différente des positions syndicales traditionnelles basées sur les salaires et conditions de travail est très appréciée par l’UNEF et les étudiants et sera par la suite porteuse d’un grand développement dans la jeunesse des idées et des adhésions à la CFDT.
Puis nous partons pour la plus belle des manifs orléanaises, nous passons avec de grands sourires rue Bannier sous l’une des nombreuses citations des fêtes johanniques suspendues « laissez les aller, il ne convient pas à Messire qu’on les combatte aujourd’hui »
Sitting devant la préfecture où avec les étudiants nous relayons ce cri de « Libérez nos camarades », le 13 mai se termine, ce n’était pour nous que le début d’une libération, elle continue encore aujourd’hui.
Bien sûr d’autres textes viendront étayer cet espoir de Mai, on y retrouvera le congrès de l’évolution de 1970 avec le triptyque » Socialisme, Autogestion, Planification démocratique », on y retrouvera tous les combats sociétaux dans lesquels, nous militants du 13 mai nous sommes trouvés mêlés dans un grande camaraderie, la volonté de faire de la CFDT le pivot de l’action révolutionnaire, les luttes pour les droits des homosexuels, les droits des femmes, la démocratisation de l’armée, le Larzac, la découverte de l’écologie et des dangers du nucléaire au travers de Dampierre et tant et tant de combats….
Bien sûr, nous avons tenu notre poste, bien sûr j’ai vécu les désespérances, la mort de Jean-Pierre, la grave dérive de la CFDT, le combat pour une adoption dans la ligne de ce que j’ai toujours défendu où il fallut affronter l’impossible et les attitudes de quelques grenouilles de sacristie dans les services sociaux probablements devenues porteuses du slogan "un papa, une maman", les années de recherche d’un hypothétique ailleurs avec les alternatifs, la tentative désastreuse d’un compagnonnage avec le PCF, bien sûr il y eut des orages, la perte des amis dans les désaccords et le départ de la CFDT et puis il y eut le retour de l’espoir avec la voie choisie par Jean-Luc Mélenchon et la belle aventure du Parti de Gauche qui remettra au goût du joru l'ensemble de nos slogans et de nos combats de mai 68 et des années 70….
En ce moment où se dessinent les affres du crépuscule, je mesure le chemin parcouru, je suis fier de la fidélité à ce jour du 13 mai 68 qui n’était que le début d’une libération, je suis heureux de ce que nous avons fait évoluer, je savoure chaque jour l’investissement de la jeunesse que j’ai pu apprécier dans la belle aventure du PG en souhaitant ardemment que celui-ci résiste aux dérives dont il est l’objet parfois pour réaliser, ce que nous n’avons pas réussi avec la CFDT, être le vecteur de la force révolutionnaire de notre temps.