Il y a 76 ans Gien s'écroulait sous les bombes
Faisant une entorse au caractère essentiellement politique de ce blog, j’ai choisi de l’ouvrir à une page tragique de notre histoire locale.
Il y a 76 ans aujourd’hui, notre belle cité Médiévale-Renaissance s'écroulait sous les bombes nazies.
Oh certes Gien, citée à l’ordre de l’armée, décorée de la Croix de Guerre, n’est pas la seule ville à avoir vécu la tragédie issue de la prise de pouvoir des nazis allemands et des fascistes italiens ; Elle n’est pas non plus la seule cité ligérienne à avoir grandement souffert. Disons simplement, ce qui a été reconnu par le général Weygand : « Les défenseurs de la région de Gien prendront place dans l’Histoire, et dès maintenant, à côté des héroïques Cadets de Saumur ».
Mais attachons-nous à la relation des faits qui ont tant meurtri notre ville, qui ont détruit 420 immeubles, fait 926 familles sinistrées dans une commune qui comptait à l’époque 8000 habitants. Volontairement, pour ne pas alourdir cet article et parce que je le souhaite, révélateur du climat dans la ville, je ne traite pas les premiers combats à la ferme de la Gâcherie, tout aussi tragiques et meurtriers.
Depuis le 12 juin, des milliers de réfugiés à pied, en voiture, tirant des chariots surchargés descendent des Pays Bas, de la Belgique, du Nord de la France avec un seul objectif franchir la Loire et gagner le sud pour tenter d'échapper à l’avance des armées ennemies.
Le 14 juin 1940, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre… Paris est déclaré ville ouverte, deux millions de ce qu’on appelle aujourd’hui les Franciliens viennent grossir le flot des réfugiés. Devant l’ampleur de l’exode, une vive émotion s’empare de la population. Le député-maire de Gien est Pierre Dézarnaulds, ancien secrétaire d’Etat à la jeunesse du gouvernement Blum et médecin de son état. Recevant de la Préfecture des conseils de calme « Gien n’est en aucun cas menacé », voyant la gendarmerie évacuer, la caserne se replier, il prend l’initiative de mettre à l’abri les malades, les vieillards de son l’hôpital et commence à organiser l'évacuation. A 23 heures l’ordre d’évacuer la ville arrive enfin. Toute la nuit, il fera de son mieux pour alerter la population en essayant d’éviter la panique.
Le samedi 15 juin à 5h du matin, les personnels du téléphone et télégraphe maintenus à leur poste pour assurer les communications nécessaires à l’Etat Major siégeant à Briare reçoivent l’ordre d’organiser leur évacuation. Etant d'une famille qui était dans ce centre, combien de récits m'ont été faits des difficultés à se rassembler, à prévenir les collègues, à partir dans des conditions épouvantables en se couchant, la peur au ventre, sous les premiers mitraillages....
A 12h15, dans son hôpital, le maire reçoit la visite du général de l' Etat Major qui lui fait le reproche d’avoir contribué à la panique « Gien ne risque rien, c’est folie d’avoir provoqué la panique ». Signe d’un dépassement complet du pouvoir militaire, dès la fin de sa phrase, dans un fracas épouvantable, les vitres de l’hôpital volent en éclat, une bombe est tombée à quelques mètres, une autre sur la place du château, la nef de l’église s’écroule, une troisième avenue de la République, la bataille de Gien est engagée.
Déjà se comptent les morts et les blessés, 19 victimes dans la cour du château. Mr le chanoine Juranville blessé mais ayant fait preuve dans cette période d’un courage remarquable réconforte, soigne les plaies, assiste les mourants pendant toutes ces heures d’épouvante.
A partir de 23 heures, c’est un déluge de bombes incendiaires qui s’abat. La ville est en flamme. La magnifique cité médiévale et renaissance disparaît pour toujours. A partir du 16 juin, les bombardements sont entrecoupés de mitraillages. Sur le pont et sur les quais ce ne sont qu’encombrements, blocages, ralentissements avec les affres habituels de la nature d’humains en panique : actes d’héroïsme et de solidarité pour les uns, actes de lâcheté, d’égoïsme, pour les autres et souvent pour chacun, les deux mêlés.
Sous les mitraillages, la 23ème division d’Infanterie avec le 32ème RI, chargée de défendre la Loire, creuse des tranchées, on obstrue les fenêtres des maisons du quai de Sully. On se prépare pour la grande bataille, celle de la défense de la Loire.
Les troupes françaises retardées par les convois interminables de réfugiés auxquels elles sont mêlées subissent à la Gâcherie les assauts des troupes allemandes. On se bat par ilots dans un milieu incertain, les Allemands se faufilent pour atteindre Gien et la Loire.
Dans l’après-midi du 17 juin, Gien est pris en tenaille, à 18h30 les ennemis sont aux portes de la ville.
A 20 heures un bruit se colporte « Ils vont faire sauter le pont » et une gigantesque bousculade se produit avec son cortège d’horreurs, véhicules gênants balancés dans la Loire, tout ce qui empêche de passer traité sans ménagement.... Il est 20h15 quand le 32ème RI donne l’ordre de faire sauter le pont qui se fracture immédiatement.
Les allemands prennent la ville à 22 heures mais ne peuvent se rendre maîtres du pont. Les combats font rage dans la ville. Embusqués dans le quartier de la Genabie, des tirailleurs sénégalais se battent à la grenade et au coupe-coupe, on ne dira jamais assez avec quel courage, ils ont défendu notre patrie. Ils se rassemblent au niveau du « Puits à deux étages », traversent la Loire à la nage.
Les milliers de réfugiés qui n’ont pu franchir le pont vivent des heures horribles, pris entre la ville qui brûle, les mitraillages incessants, les Allemands. Gien n'est que cris d'horreurs, pleurs, chacun cherche qui un enfant, qui un compagnon ou une compagne, qui un parent avec ces question "est il passé? s'est il noyé? Où s'est il caché?" A l’aide d’échelles, ils tentent de grimper sur le viaduc de la ligne de chemin de fer Gien-Argent-Le Blanc. Dans cette pagaille obligatoire, à Oh10 dans un fracas infernal, la première arche saute pendant le passage d'un convoi.
La Loire coule, imperturbable, majestueuse comme si de rien n’était. Pourtant ce soir là, elle sépare deux univers.
Certes le prix est élevé mais le 32ème RI sera reconnu comme le régiment qui aura retardé efficacement de quelques jours l'avancée apparemment irrésistible des troupes ennemies.
C'est le coeur serré que les Giennois découvrent leur ville lors de leur retour d'exode, sur Saint -Martin, Poilly, le quartier du Berry, leur apparaît leur ville recouverte de gravats. Ils passent le pont de secours avec cette question rivée au coeur "comment vais-je trouver ma maison ". Commence alors le long travail de déblaiement, l'installation des sinistrés dans logements provisoires jusqu'à pour certains la fin des années 50, le tout dans la nuit noire de l'occupation, de la collaboration, des dénonciations et l'espoir des premiers actes de la Résistance...
Gien a vécu cette horreur, elle en vivra une autre pour la libération de notre pays en 1944. Les Giennois de cette époque qui m’en ont tant raconté, les ruines spectaculaires dans lesquelles j’ai joué enfant poussent à ce que jamais ces jours d’horreur ne soient oubliés, à ce qu’ils soient rappelés dans leur vérité historique et non dans un quelconque folklore.
Et puis comme toujours, la vie a repris ses droits, la ville de Gien, sous l’impulsion d’un maire d’exception Pierre Dézarnaulds (démis de ses fonctions par Vichy) et réintégré en 1944 (après avoir travaillé au projet depuis son hôpital dès 1941), est reconstruite, obtenant comme il le souhaitait le titre de « Joyau de la Reconstruction Française » conjointement je crois avec « Saint-Malo ».
Il convient de noter le travail extraordinaire fourni par les chercheurs de la Société Historique du Giennois et spécialement de Marcel Champault, auteur d'une brochure "Le"s Combats de Gien", de citer l'oeuvre de vulgarisation effectuée par le Journal de Gien quand il était sous la direction locale de Raymond Jatteau et la République du Centre pour le développement pendant 5 ans de nos travaux (les Mardi de l'Histoire) quand j'avais la joie et surtout l'honneur de présider la SHAG.
A nous de savoir préserver, face à tous les intérêts qui souhaitent démolir, enlaidir, livrer aux seuls intérêts commerciaux, cette cité dont l’Histoire si riche des trouvailles de la Préhistoire, de la querelle à l’instant tranchée pour Orléans de Genabum, des acquisitions du roi Gontran, des Cisterciens, des apports de l’Abbaye de Fleury, de Louis IX, de la Ligue de Gien, de Louis XIV, d’Anne de Beaujeu.
Sachons rendre à Guillaume Gonat et Pierre Dézarnaulds, les deux grands bâtisseurs modernes de notre ville, le plus beau des hommages celui de défendre le patrimoine qu’ils nous ont légué.
Sources: recherches personnelles, brochures et livres SHAG, photos et cartes collection famille Tissier