A près d'un mois de sa proposition de candidature-point d'étape de Jean-Luc Mélenchon
Dans ces 52 années d’engagement militant, j’ai rencontré quelques camarades auprès de qui j'ai beaucoup appris: Eugène Descamps, Edmond Maire, Paul Raffin, Jean-Louis Bory mais cessons là cette énumération, elle serait fastidieuse et surtout forcément incomplète, ce qui serait disgracieux pour beaucoup d’autres.
Jean-Luc Mélenchon fait partie de cette liste depuis son courage de 1990 jusqu’à la très belle aventure qu’il m’a permis de vivre au Parti de Gauche.
Bien sûr, ma nature insoumise et notre refus commun de toute idolâtrie me conduisent à ne pas suivre aveuglément tout ce qu’il fait, tout comme restant militant du Parti de Gauche, je n’ai pas de souci à contester la place que ne s’accorde pas mon parti dans cette campagne mais quoi qu’il arrive, je suis militant avec la certitude que Jean-Luc est bien l’homme de la situation, le seul candidat portant l’espérance de notre peuple et c’est avec conviction et grand plaisir que je retranscris ce post qu’il a écrit le 5 mars. Sa lecture conduira les lecteurs de ce blog, je le souhaite ardemment en tous cas, à rejoindre à la fois le mouvement qui s’initie en cliquant sur l’adresse www.jlm2017.fr et le parti de gauche, premier parti politique à lui avoir apporté tout son soutien
De Jean-Luc Mélenchon :
« Ce post est écrit au fil du flux de mes allées et venues qui cette semaine m’a conduit à Nantes et à Rennes à la rencontre d’amphis bondés d’étudiants à qui j’ai présenté mon livre « L’Ère du peuple ». Mais comme j’ai choisi aussi d’aller à la rencontre d’une équipe de paysans, femmes et hommes d’un style tout à fait moderne, plutôt qu’au salon de l’agriculture, j’en parle. Ils en valent la peine. Ceux-là sont loin du modèle archaïque du sulfateur compulsif de pesticide qui suit les consignes de Xavier Beulin et saccage sa propre vie en même temps que la terre, l’air et l’eau. Je fais un rapide bilan de mes trois premières semaines d’entrée en pré-campagne car, après tout, cette activité concentre la plus grande part de mes efforts. Et je conclus avec quelques mots sur la mobilisation pour le retrait total et définitif de la loi El Khomri. À cette occasion j’ai improvisé l’usage d’une pastille vidéo d’appel à la mobilisation pour prendre ma part au travail que mènent ceux qui se mobilisent sur ce sujet.
Le fond de l’air est frémissant.
La jeunesse du pays commence à s’impliquer et à déployer son inventivité pour amplifier la prise de conscience qui se construit contre cette ignominie. Au palais, les complots vont bon train. En haut, on ne peut plus commander comme avant sachant qu’on n’est plus trop obéi. En bas on commence à ne plus vouloir subir. Si personne ne trouve le moyen de nous remettre sur les genoux des histoires communautaristes ou xénophobes, il est possible que le pays s’intéresse à sa situation sociale. Et alors, les dinosaures du MEDEF et leurs suppôts dans la caste médiatique vont commencer à sentir le vent du boulet. Enfin la France serait autre chose que le pays des va-t-en-guerre-partout, le pays qui chasse dans l’errance des enfants sans parents et des familles de réfugiés comme à Calais.
Plus besoin pour moi d’y ajouter quelque dénonciation que ce soit. Des Aubry ou Pouria Amirshahi en disent dorénavant pire que moi ou au moins autant que ce que j’en ai dit de multiples fois. Et avant qu’ils se réveillent, ceux-là voulait croire que c’était excessif et me dénonçaient avec la mine des bons élèves qui n’en pensent pas moins. En tous cas, ces deux-là récusaient le « sectarisme » de mon ton. Bienvenue au club, amis ! N’oubliez pas de passer à l’acte. Il ne suffit ni de dénoncer ni de démissionner. Il faut construire une sortie positive pour tout notre pays. Je m’y suis attelé. De longue date. A présent j’ai proposé ma candidature. Pourquoi ceux qui confirment mon diagnostic ne viendraient-ils pas dire « nous » avec moi ? Moins d’égo et davantage de collectif seraient bienvenus. Un peu d’aide ne serait pas refusée.
Un bilan d’étape de ma proposition de candidature
Voilà seulement trois semaines que j’ai proposé ma candidature. Tout le projet du mouvement « la France Insoumise » repose sur la capacité à être entendu de tous et pris en charge par tous. Et notamment par le cœur de ceux qui sont aujourd’hui non seulement dans le rejet du système de la caste, mais veulent aussi ouvrir une issue positive à la situation politique et sociale qui se nécrose sous nos yeux. Une attitude qui se répand sans étiquette de parti ni bulletin d’adhésion, bousculant les lignes rouges que l’on croyait bien fixes dans sa propre tête.
J’estime que la première étape du déploiement que je prévoyais a été franchie avec méthode et succès. En dépit du tir de barrage de mes prétendus « amis du Front de Gauche » qui se seront acharnés à critiquer et dénaturer ma démarche sous le prétexte d’une « action en solo » et, crime suprême, sans les avoir prévenu du jour où ils auraient pu me nuire plus efficacement, plus de 72 500 « insoumis » se sont déclarés en appuyant ma proposition de candidature et 2000 d’entre eux ont fait un don ! En fait, peut-être que les mises en cause de mes détracteurs m’auront servi en confirmant que je me présentais bien hors cadre. Car ceux qui se sont engagés avec moi l’ont fait avec énergie et engagement. Ils comprennent que tout se jouera sur l’ancrage populaire et personnel de cette démarche. De fait, plus de 600 groupes d’appui ont été enregistrés et ils sont situés partout dans le pays. 19 de ces groupes d’appuis se trouvent d’ailleurs dans les outre-mers et 26 parmi les Français de l’étranger.
Le maillage est donc déjà bien dense. Il faut le renforcer bien plus encore. Si vous n’avez pas encore rejoint un groupe, vous pouvez le faire à chaque instant. Notez d’ailleurs que tout le monde peut créer soi-même un groupe d’appui s’il n’en existe pas près de chez vous. Mais pour le dire franchement, on peut et on doit aussi le faire si l’on ne supporte pas les autres membres du groupe existant. L’action politique ne doit pas être une corvée ni une punition. Les groupes d’appui ne doivent être ni récupérés ni privatisés et nul ne doit voir son action paralysée par des contingences locales ou de personne. C’est pourquoi je ne permets pas que se déclarent des « groupes régionaux » ou « départementaux » car ces périmètres ne correspondent pas au projet que les groupes d’appui incarnent. Nous formons un mouvement pas un nouveau parti. Pour que le plan de marche fonctionne il faut ancrer l’action dans le plus grands nombre de points de contacts.
Je vois que les insoumis comprennent vite et bien ce qu’il faut faire. Je suis scotché par leur rapidité de réaction. D’ores et déjà, les insoumis ont commandé 600 000 tracts. A noter : ils les ont payés. Tout comme les 80 000 affiches et les 60 000 autocollants, envoyés en métropole et dans les outre-mers. A noter encore que ce matériel a été empaqueté par des militants, bénévolement. Les premiers colis ont déjà été reçus et le reste suit, si bien que le passage à l’action au grand jour dans les rues et sur les murs a commencé un peu partout. L’orgueil de notre lancement, c’est l’appel spécifique, lancé par des syndicalistes et lanceurs d’alerte. Il a reçu déjà plus de 2 000 signatures dont plus d’un millier de syndicalistes de tout le pays.
La France insoumise se met donc en mouvement. Je suis un déclencheur. Mais le but de la campagne n’est pas ma personne. C’est évidemment le projet que nous allons porter et le mouvement que nous allons construire ensemble. C’est ce que j’ai dit dès la première heure dans la déclaration présentant ma démarche mise en ligne sur le site jlm2017.fr : « je vous propose donc à la fois une candidature, un projet en construction, un moyen de travail commun et un outil d’action ».
C’est dans cet état d’esprit que j’ai proposé dimanche 28 février sur i>télé un processus de désignation collective des 577 candidats aux élections législatives. L’objectif est de permettre à une nouvelle majorité de se créer, à partir de l’action populaire, hors des négociations des partis. Ceux-ci sont évidemment légitimes à proposer leur aide pour agir et leur concours sera le bienvenu. Les militants politiques sont évidemment les très bienvenus. Mais je refuse que la désignation des candidats aux élections législatives se fasse une fois de plus dans les arrière-cuisines d’une négociation entre appareils.
Je souhaite au contraire que des assemblées de base du mouvement « la France insoumise » décident de nos candidats aux législatives, qu’ils construisent les candidatures. Et surtout, il s’agit d’établir une cohérence totale entre la campagne législative et celle de la présidentielle. Il s’agit de viser à avoir un groupe à l’assemblée qui ne fonctionne pas sur le mode « chacun pour soi » ou « je fais ce que je veux et je ne dois de comptes à personne ». Mais un groupe où la discipline collective existe, où on rend des comptes aux électeurs et aux citoyens qui vous ont porté, où on se consulte avant les votes et où les citoyens sont associés au travail parlementaire. C’est la condition pour chacun se sente à sa place dans ce mouvement.
En toute hypothèse, il ne s’agit pas de psalmodier mon nom pendant les 14 mois qui nous séparent de l’élection. Notre campagne ne prend de sens qu’en relation avec le contexte qui la justifie. Nous ne faisons pas seulement campagne pour un homme, un nom pour un programme ! Il s’agit de projeter notre force en renfort de l’action de tous ceux qui vont mettre notre pays en mouvement contre l’ordre établi, les projets de la caste et ainsi de suite.
A l’heure actuelle, la tâche pour « la France insoumise », c’est d’aider à la lutte pour le retrait total du projet de loi El Khomri. Une marée citoyenne peut l’obtenir ! Le gouvernement a déjà dû reculer la date de présentation du projet de loi en conseil des ministres de 15 jours. Trop tard ! La date du 9 mars s’est imposée comme un premier rendez-vous de mobilisation. Son origine dans la jeunesse et sur les réseaux sociaux est un très bon indicateur de l’énergie disponible pour ce combat. L’appui résolu de plusieurs syndicats dont l’UNEF, la FIDL, l’UNL, la FSU, FO, Solidaires et la CGT à cette journée est prometteur. Ils appellent à la manifestation le 9 et le 31 mars.
Les groupes d’appui et les insoumis doivent se mettre au service de la mobilisation nationale pour le retrait de la loi El Khomri. Chacun doit accomplir sa part du travail. Nous avons appelé à signer la pétition contre la loi et j’ai relayé sur les réseaux sociaux l’initiative #OnVautMieuxQueCa des youtubeurs. Tout ce qui permet de faire grandir le mouvement contre cette loi est bon. Notre tâche est de propager des arguments comme je l’ai fait sur ce blog et comme nous venons de le faire sur le site jlm2017.fr. Vous y trouverez une lecture analysée de l’avant-projet de loi. Nous devons faire connaître les dangers de ce projet de loi comme nous l’avons fait avec le visuel contre la suppression de la durée légale de congés en cas de décès d’un proche. Ce visuel a été partagé plus de 80 000 fois sur les réseaux sociaux. Vous aurez noté que ce matériel n’est pas siglé du site jlm2017.fr ou de mon nom. Ce n’est pas l’objectif de cette action d’appeler à signer pour la présidentielle. Et surtout pas de donner l’impression qu’il faut attendre 2017 pour agir ! L’objectif est de se mettre au service de la mobilisation pour la faire grandir.
De toutes les façons possibles, il faut donner le coup de main dans l’action, propager des mots d’ordre rassembleur comme celui du « retrait » du texte. C’est dans cet esprit que sera lancé la semaine prochaine la campagne de la « France insoumise » pour participer à la lutte pour le retrait du projet de loi El Khomri. Plus large et ample sera la mobilisation meilleure sera le contexte pour notre projet. Plus la température sociale s’élève plus croît la conscience qu’il est urgent d’en finir radicalement avec le système et la politique qui rend possible de telles agressions contre la vie quotidienne des gens.
Jeudi 3 mars, je visitais une ferme bio, « le P’tit Gallo », en Ille-et-Vilaine, à 20 minutes de Rennes. J’ai préféré aller à la rencontre des paysans qui mettent en œuvre l’agriculture à laquelle je crois plutôt que de participer à cette cohue violente qu’est devenu le salon de l’agriculture à Paris. La presse locale et France 3 m’ont bien accompagné sur place. Je pardonne aux médias nationaux leur indifférence en béton armé pour tout ce qui est au-delà du périphérique car je sais bien que ce sont des entreprises et que ça coûte cher… blablabla… même avec des esclaves en CDD, stagiaires et ainsi de suite. Cependant, une équipe de France 5 m’accompagnait et je parie sur de belles images pour l’émission de Caroline Roux à laquelle je participe dimanche 13 mars.
À vrai dire, je me suis trouvé comme un poisson dans l’eau, si j’ose dire, parmi les vaches. Les connaisseurs de ma bio savent que j’ai été, il y a longtemps, le rédacteur du Jura rural, supplément hebdo du journal Les Dépêches. J’ai donc un œil sur la chose rurale depuis très longtemps. En tous cas depuis assez longtemps pour avoir vu comment se vérifiaient, ou non, bien des pronostics et bien des stratégies de développement. Le hasard a d’ailleurs fait de moi l’illustrateur (à l’époque je gagnais aussi ma vie en dessinant) d’une brochure hostile à la mise en place des quotas laitiers… Ceux-là même dont la suppression vient de plonger les producteurs de lait dans le chaos. Puis à la création du Parti de Gauche, j’ai eu le bonheur de travailler avec Laurent Levard, l’actuel secrétaire national chargé des questions agricoles, spécialiste avancé de ce domaine qui l’a pratiqué non seulement en France mais dans un pays du « sud ». Grâce à lui et de façon paradoxale, le premier programme complet dont le Parti a disposé, du temps où je le présidais avec Martine Billard, était son programme agricole. Depuis 2009 je suis donc assisté de ses conseils, avis et mises à jour. Je ne dis pas que ça me rend incollable et je sais qu’il me reste beaucoup encore à apprendre, mais du moins je sais de quoi on parle quand il est question d’agriculture.
Je livre donc ici quelques éléments sur la crise actuelle dans les élevages de vaches laitières. C’est avec le marché de la viande de porc le principal secteur en crise. Justement, ce sont les deux secteurs les mieux « déréglementés ». Le cas du lait est emblématique. Le prix du lait payé aux producteurs est en baisse continue depuis 2014. Le prix moyen était de 365 euros par tonne de lait en 2014. Il est tombé à 309 euros par tonne en 2015. Et il est actuellement à 270 euros par tonne, 25% de moins qu’il y a deux ans ! 270 euros la tonne, cela signifie moins de 30 centimes le litre de lait ! Demandez-vous où passe la différence entre ce prix payé au paysan et le prix que vous payez pour une bouteille de lait en supermarché ! N’empêche que désormais, le prix d’achat aux paysans est nettement en dessous des coûts de production de nombreux éleveurs. L’investissement massif, la maltraitance des animaux, l’acharnement au travail dans des journées interminables, tout aura été vain pour des milliers de paysans. Le désastre social est garanti. Mais cette crise ne tombe pas du ciel.
Au fond, c’est une crise de surproduction assez classique. La production de lait dépasse la demande et l’ajustement entre les deux se fait par les prix selon la loi du marché. Si l’on veut faire mieux que de distribuer des pansements et subventions, il faut donc prendre le problème dans sa globalité. La crise actuelle est directement liée à la course à l’industrialisation de l’agriculture et à la dérégulation des marchés. Le marché européen du lait est désormais totalement libéralisé. En effet, depuis mars 2015, il n’y a plus de quotas plafonnant la production européenne de lait. J’avais voté contre cette décision au Parlement européen. Elle était contenue dans la nouvelle Politique Agricole Commune validée en 2013 par François Hollande et avait été préparée dès le mandat de Nicolas Sarkozy. Dès lors, chacun produit comme il veut, tant qu’il veut. La course au gigantisme des élevages est d’ailleurs sans limite.
Le but est de lier le marché européen au marché mondial. Il s’agit de faire du marché mondial l’aire de jeu de l’agriculture productiviste. Ce que l’on appelle ici des « surplus » qu’il faudrait bien pouvoir écouler sur le marché mondial, raison pour laquelle les prix devraient s’y aligner, sont en réalité l’objectif visé par le modèle de production agricole actuel. Dès lors s’impose sans pitié l’indexation du prix sur le prix du marché international du lait, essentiellement à travers la poudre de lait et le beurre qui sont les matières premières échangées au niveau international. Les défenseurs de la fin des quotas mettent d’ailleurs en avant les perspectives de développement des exportations, notamment vers les pays émergents, et en particulier la Chine. Cette stratégie est absurde. D’abord parce que le marché mondial des produits laitiers est un marché marginal qui ne concerne que les très gros producteurs. Ensuite parce que sur ce marché international, l’offre est relativement abondante notamment du fait de la Nouvelle-Zélande qui a des dispositions de production favorables avec de grands élevages herbagers. Sans oublier que la demande mondiale à court et moyen terme est en baisse : les importations chinoises se sont fortement ralenties avec la moindre croissance dans le pays et la demande russe est tarie par l’embargo sur les fromages européens décrété par la Russie en rétorsion des sanctions de l’UE contre elle.
C’est un cercle vicieux qui n’en finit plus. Comme les prix baissent, il faut produire plus, donc s’endetter pour augmenter la taille de l’élevage et de l’exploitation, ce qui contribue à la crise de surproduction et donc à une nouvelle baisse du prix, etc. À ce jeu de massacre, le « modèle allemand », danois et hollandais est particulièrement destructeur avec de très grands élevages intensifs et une forte concentration de la production, comme je l’ai montré dans Le Hareng de Bismarck. Au final, ce système pousse les éleveurs à l’endettement, à l’hyperspécialisation et au gigantisme. Tout le contraire de la qualité des produits, du bien-être animal et d’un modèle stable et capable d’absorber les difficultés par une diversification des cultures.
La France, longtemps première nation agricole de l’Europe est au cœur de la tourmente. Le modèle est spécialement destructeur pour elle. Il y a aujourd’hui 66 000 exploitations laitières en France, contre 100.000 il y a dix ans. La crise actuelle mènera mécaniquement à une réduction encore plus rapide du nombre d’exploitations. C’est l’agenda des libéraux, agenda explicite dans le cas des grands groupes industriels. Et comme ils ne peuvent ignorer tout cela, nous pouvons dire qu’il s’agit de l’agenda caché de la bande des trois qui a les doigts dans le système : LR, PS et FNSEA.
Dans ce contexte, les élevages laitiers bios résistent beaucoup mieux. Bien sûr tout n’est pas rose pour eux non plus. Mais ils proposent un contre-modèle qui est sans doute la seule voie viable pour l’élevage à l’avenir. Ils sont moins touchés aujourd’hui par la par la crise des prix, et pour plusieurs raisons. D’abord, la qualité du lait produit leur permet de le vendre un peu plus cher. Ensuite ils se tiennent pour la plupart à distance du marché mondial et préfèrent les circuits courts, la vente directe, les circuits de distribution plus respectueux des éleveurs.
Ainsi, à la ferme du « P’tit Gallo », où j’étais, on transforme le lait en fromage, yaourt, riz au lait et on vend tout cela sur place autant que dans la restauration collective environnante. Ici, on évite la marge de celui qui ramasse le lait, celle du transformateur, celle du distributeur et la course aux quantités que tout cela implique… À noter aussi que les élevages bios sont souvent plus autonomes en matière de production des aliments pour le bétail. Et ces élevages plus autonomes, bios ou pas d’ailleurs, résistent beaucoup mieux que les élevages les plus intensifs à la baisse des prix payés aux producteurs. La vache qui broute dans le pré coûte moins cher à entretenir que celle nourrie avec des tourteaux de soja importés de pays qui rasent leurs forêts et détruisent leurs production vivrières pour les faire pousser, de maïs dévoreur d’eau, le tout empoisonné aux pesticides. Et je ne dis rien de celles qu’on a mis à manger des farines animales… Evidemment, la diversification des exploitations avec plusieurs cultures ou plusieurs élevages permet aussi d’amortir les chocs lorsqu’un marché s’effondre. C’est du bon sens non ? Les paysans ont fait comme ça pendant les millénaires où la survie de la communauté humaine dépendait de la diversité des productions pour faire face aux aléas du climat sur les cultures…
La crise actuelle montre la fragilité du système d’agriculture productiviste. Tant que les prix sont à un certain niveau, les éleveurs pratiquant une agriculture intensive, productiviste, s’en sortent mieux, car même s’ils gagnent moins par litre de lait, ceci est compensée par la grande quantité produite par éleveur. Le peu de valeur ajoutée par litre de lait est compensé par la très forte productivité. Et il faut le dire, par des aides de la Politique Agricole Commune qui sont d’autant plus importantes qu’un éleveur produit beaucoup. Mais, quand le prix baisse, et surtout lorsqu’il baisse jusqu’au-dessous du niveau des coûts de production unitaire de l’agriculture productiviste, comme en moment, la crise fait des ravages chez les éleveurs les plus intensifs et les plus capitalisés : ils perdent d’autant plus qu’ils produisent davantage. Dans le même temps, les éleveurs plus autonomes continuent à dégager de la valeur ajoutée par litre de lait car leurs coûts unitaires sont plus faibles. David résiste mieux que Goliath !
Tous les arguments rationnels plaident pour sortir de ce modèle agricole productiviste : le bilan écologique des productions, la qualité nutritive et sanitaire des productions, le bien-être des animaux, l’épanouissement et les revenus des paysans, le nombre d’emplois créés. La percée continue de l’agriculture biologique montre que c’est possible. Les chiffres sont très encourageants. Ils révèlent l’absurdité de l’entêtement dans le modèle productiviste. En 2015, l’agriculture biologique représentait 1,3 millions d’hectares, soit 4,9% des surfaces agricoles. Aujourd’hui, le bio occupe une surface agricole cinq fois plus grande qu’en 2005. L’an dernier, on comptait 28 725 fermes bios, soit 6,5% des exploitations sur un nombre total de 440 000. C’est près de trois fois plus qu’il y a 10 ans.
Sur ce point, dans ma visite à la ferme du « P’tit Gallo », il y avait un top ! On élève 70 vaches sur 50 hectares. Et 9 personnes en vivent. C’est un nombre considérable si on le compare aux normes en vigueur dans l’agriculture dominante. J’en profite pour dire que mon réflexe d’ancien ministre de l’enseignement professionnel m’a été bien utile dans cette visite. Au lieu de m’émouvoir de toute cette belle ruralité aux sourires frais et aux joues rouges, j’ai demandé à la crémière et à quelques autres quels étaient leur niveau de diplôme donc de qualification. La crémière est juste BTS et Licence pro (je me félicite d’avoir créé ce diplôme !), la chef de production (et du magasin) est une ingénieure agricole, le paysan qui m’accueillait un BTS de même que celui qui s’occupe de la commercialisation ! Des têtes bien pleines, au top des connaissances de leurs métiers. Et je crois que si leur produits frais comme les yaourts et le reste ne contiennent aucun conservateurs ni adjuvants, c’est bien parce que ces gens-là maitrisent de A jusqu’à Z le savoir qui est mis en jeu à chaque étape de la chaine de production du chaud et du froid et ainsi de suite.
Je souligne ce point pour clore le bec aux ignorants qui croient que le bio et l’écolo seraient des régressions scientifiques et techniques alors que c’est exactement l’inverse. Je veux préciser que ces gens-là sont heureux et que ça se voit. Cette question du contenu en emploi de l’agriculture bio est très importante. Car si l’agriculture bio n’occupe que 4,9 % de la surface agricole du pays, elle représente 10% des emplois. Dans l’après-midi j’ai dialogué aussi avec un maraicher bio. Lui et sa famille vivent sur deux hectares seulement. Donc l’agriculture écologique crée de l’emploi en masse. D’après le programme de Laurent Levard, nous devrions créer de cette façon 3 ou 400 000 emplois ! D’ores et déjà, au total, l’agence Bio estime que 100 000 emplois sont liés directement ou indirectement à l’agriculture bio si on ajoute les entreprises de transformation, distribution etc. Le bio, ça marche !
C’est bien. Mais il va falloir trouver les gens pour aller y travailler. Cela veut dire que la condition de vie paysanne doit s’ajuster aux standards de vie communs. Au « P’tit Galo », il y a des week-ends et des vacances annuelles pour chacun. Nul n’est condamné à passer sa vie au cul des vaches. Ce n’est pas anecdotique. Il ne suffit pas de dire « nous voulons une agriculture bio » sans se soucier de savoir qui va la faire et dans quelles conditions. Notre nouveau modèle paysan doit répondre à la question sociale de la condition de vie des travailleurs de la terre. Ce que j’ai vu au « P’tit Gallo » prouve que c’est possible. Nous n’avons pas à inventer un modèle comme disent les bavards qui pullulent dans les réunions de la « gôche tellement déçuuuue » mais qui ne s’est intéressée à rien de ce qui murissait au cœur même de notre temps. Ce modèle, d’autres l’ont fait naitre déjà. Le travail consiste à l’étendre et à l’adapter d’une région à l’autre d’une ferme (« exploitation agricole ») à l’autre. Pour cela il faut savoir, vouloir, planifier !
Bien sûr, reste la question du surcoût de production. En soi ce n’est pas un problème. Mais la conséquence ce serait une augmentation du prix de l’alimentation qui romprait avec une baisse continue qui a fortement aidé à maintenir le pouvoir d’achat des salariés urbains et même à l’augmenter dans certaines périodes. On sait à quel prix mais quand même ! En tous cas, les coûts de production bio ont déjà beaucoup baissé du fait des économies d’échelle rendues possibles par le développement de la production et de la consommation de produits bios. Il baisserait encore nettement si les milliards d’euros engloutis dans les subventions au modèle actuel en faillite étaient réorientés et si une politique volontariste de développement était mise en place. Mais il ne faut pas biaiser, le développement d’une agriculture bio implique des prix rémunérateurs pour payer ses emplois.
A ce propos, il faut noter une démocratisation certaine de la consommation de bio. Selon un sondage commandé par le ministère de l’agriculture, en 2015, 89% des consommateurs ont consommé au moins une fois du bio au cours de l’année. C’était seulement 54% en 2003. 65% des consommateurs disent même avoir consommé des produits bios régulièrement. C’est un chiffre très important : même si cela ne représente pour certains qu’une faible partie de leur consommation, cela témoigne d’une habitude réelle. Et 58% des consommateurs de produits bios le font notamment pour préserver de l’environnement. La question de la démocratisation du bio n’est donc plus d’abord une question de communication ou de conviction. L’enjeu numéro un est désormais clairement la question des moyens financiers des acheteurs, et de partage du prix entre producteurs et distributeurs. C’est-à-dire une question sociale.
Jean-Luc Mélenchon . »